mercredi 26 juin 2013

LETTRE DE LUMUMBA A CHANTAL FAIDA

« Je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau »


Chantal Ma fille,
Depuis l’Au-delà, où l’on m’a expédié par les belges, aidés par certains traitres congolais, il me semble que je vois les choses mieux qu’auparavant. D’ici, je vois, mieux que toutes les satellites du monde réunies, les coins et les recoins de mon pays le Congo. D’ici, je vois mieux que quiconque et je suis à même de dire : qui est qui ? Qui fait quoi ? et avec qui ? Qui veut quoi ? qui veut le bonheur du Congo et qui veut son malheur.
D’ici, je vois combien les fêtes du 30 juin se suivent et se ressemblent si bien qu’elles finissent par devenir harassantes et monotones. Toujours les mêmes scènes que j’observe depuis l’Au-delà : celles et ceux qui mangent trois fois par jour se placent à la tribune couverte, sous une grande bâche climatisée. Celles et ceux qui ne mangent qu’une fois tous les trois jours défilent devant eux, sous le soleil accablant. Et ils appellent cela commémorer  l’anniversaire de l’indépendance. Il y a mieux à faire que ces tristes fêtes qui empêchent au peuple congolais de se poser les quatre questions que je trouve fondamentales : d’où venons-nous ? Où sommes-nous ? Où allons-nous et qui sommes-nous ?
Chantal Ma fille,
D’ici, je vois aussi ton combat pour un avenir meilleur de ta province le Nord-Kivu et de notre pays tout entier. Mais, laisse-moi te dire, après expérience, que ce n’est pas une mince affaire que d’être un vrai patriote. Il faut prendre son courage entre ses deux mains pour renoncer, dénoncer et annoncer. Renoncer à lécher les bottes du « colonisateur ». Dénoncer les injustices et les exploitations de l’homme par l’homme. Annoncer que tout est possible pour que le Congo devienne une grande puissance. Tout mon combat tournait autour de ces trois verbes. Alors que nous étions à la « Table Ronde », mon idée principale était qu’après l’indépendance, ce sont les congolais qui devaient reprendre en mains la gestion du pays. Ce n’était pas tout : J’avais aussi plaidé pour une formation rapide de futurs responsables congolais. Cette tache pouvait être facile si, autour de moi, j’avais des personnes sûres, sur qui je pouvais compter, des vrais patriotes. Mais hélas, j’étais entouré de pas mal de traîtres, des calomniateurs, des aventuriers et des opportunistes. Les uns sont morts, d’autres sont encore vivants avec vous là-bas au Congo. Je les vois depuis l’Au-delà.
Malgré cela, j’avais déjà pris une direction, un chemin de non retour. Mes convictions passaient avant mes intérêts personnels. Ma mort, je la pressentais. Je voyais mes proches collaborateurs comploter contre moi. Il fallait aller jusqu’au bout de mon combat pour l’indépendance totale de mon pays. Ce n’était donc pas ma personne qui comptait, mais le Congo, ma chère patrie.
Chantal, Tu n’étais pas encore née, mais saches que ma mort était violente, très violente même. C’était un acharnement sans précédent. Même une bête de somme, on la tue avec un peu plus de dignité. Moi, on m’a tué à coup de balles, puis assommé à coup de hache… mais ce qui est vrai, c’est que mon cadavre sera éternellement difficile à enterrer. Désormais, je dérange plus en étant  mort que vivant. Et d’ailleurs, tu le sais, je n’ai jamais eu de sépulture digne d’un premier ministre : assassiné, enterré, déterré, mis dans l’acide sulfurique etc. je te préserve de tous les autres détails macabres pour ne pas te pousser à la vengeance contre « eux », ces sans-cœurs. Il me faut quand même dire un mot sur chacun de ceux qui ont pris le pouvoir dans ce pays. Le premier président du Congo n’avait pas vraiment le « charisme » d’un chef, beaucoup de dossiers lui échappaient. Il y avait beaucoup de divergences entre nous deux. Le deuxième, je ne m’attarderais pas sur lui car il fait partie des « acteurs » de ma mort. Le troisième, lui,  bien que se réclamant  d’être « Lumumbiste », il était pris en otage par les dirigeants pays frontaliers qui l’ont porté au pouvoir. Le quatrième a pris le pouvoir d’une manière hasardeuse et dirige le pays en tâtonnant. Le moins que l’on puisse dire d’eux tous, c’est qu’ils ont, chacun à sa manière, hypothéqué l’indépendance chèrement acquise.
De là haut où je suis, je peux affirmer que le Congo n’aura de paix que le jour où il aura un président qui maîtrise les quatre coins de ce pays vaste comme un continent et plus particulièrement la partie Est qui ressemble au Talon d’Achille. Le jour où un vrai patriote prendra la direction de ce pays, je suis convaincu que ce sera le grand départ. Aujourd’hui, beaucoup de Congolais disent être des « Lumumbistes » sans me connaitre réellement et sans m’imiter. Combien se sont donné la peine de lire et de relire le testament que j’ai laissé à ma femme Pauline et, à travers elle, à tout les Congolais ? Beaucoup se limitent au niveau du « sentiment » patriotique et s’appuient sur moi pour leurs propres intérêts. D’ici, je sais voir qui est « Lumumbiste » et qui ne l’est pas. On reconnait l’arbre à ses fruits. Observez et vous saurez qui est vraiment Lumumbiste. C’est d’ailleurs facile à voir à l’œil nu.
Ce qui me console dans tout cela, c’est que mon sang versé au Katanga ne restera pas sans fruit. Mon sang,  c’est vraiment une semence. D’autres « Lumumba » germeront et je les vois déjà. Celles et ceux qui voudront verser leur sang, d’une manière ou d’un autre,  pour une cause juste.
A toi, Chantal, je répète encore ces mots que j’ai dit il y a bien longtemps. Loin d’être dépassés, ils gardent encore toute son actualité au regard de ce que mon pays traverse comme souffrance, guerres à répétition et toutes les autres formes de misère qui sévit dans mon pays:
« Je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque congolais, d’accomplir la tache sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité, il n’ y a pas de liberté, sans justice, il n’y a pas de dignité, et sans indépendance, il n’ y a pas d’hommes libres ».
Vive le Congo !
Depuis l’Au-delà,
Patrice  Emery Lumumba


2 commentaires:

  1. LA SEULE RÉVOLUTION EST CELLE DE L'ESPRIT, ELLE EST INDIVIDUELLE. ET SI DES MILLIERS INDIVIDUS CHANGENT, C'EST ALORS LA SOCIÉTÉ CHANGERA CONSÉQUEMMENT ET NON VICE VERSA. VOUS NE POUVEZ PAS CHANGER LA SOCIÉTÉ D'ABORD ET ESPÉRER QUE LES INDIVIDUS CHANGERONT PAR LA SUITE. D'OÙ CHANGEONS NOS MENTALITÉS.

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